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21 Nov

Que signifie être contre le travail ?

Publié par Critique de la valeur  - Catégories :  #Critique du travail

 

 

Le concept marxien manifestement critique et négatif de travail abstrait peut être défini comme synonyme de la catégorie moderne de "travail". Dans des conditions pré-modernes, cette abstraction universelle soit n'existait pas, soit était déterminée négativement d'une autre façon : en tant qu'activité d'individus dépendants et soumis (esclaves). Le "travail" n'est pas identique avec la production tout court ou avec "le métabolisme entre l'homme et la nature" (Marx), même si, à ce propos, la terminologie de Marx reste imprécise. Le capitalisme a généralisé pour la première fois la catégorie négative de "travail". Il l'a idéologisée positivement, entraînant ainsi une inflation du concept de travail. Au centre de cette généralisation et de cette fausse ontologisation du travail, il y a réduction historiquement nouvelle du processus de production à une dépense complètement indifférente par rapport à son contenu d'énérgie humaine abstraite ou de "cerveau, de nerf, de muscle" (Marx). Socialement, les produits ne"valent" pas en tant que bien d'Usage, mais en ce qu'ils reprèsentent du travail abstrait passé. Leur expression générale est l'argent. C'est en ce sens que, chez Marx, le travail abstrait (ou l'énérgie humaine abstraite) est la "substance" du capital. La fin en soi fétichiste de la valorisation, qui consiste à faire d'un euros deux euros, est fondée sur cette autre fin en soi qui est d'accroître à l'infini la dépense de travail abstrait sans tenir compte des besoins. Mais cet impératif absurde est en contradiction avec l'augmentation permanente de la productivité, imposée par la concurrence. Critiquer le capitalisme du point de vue du travail est une impossibilité logique, car on ne peut critiquer le capital du point de vue de sa propre substance.

 

Une critique du capitalisme doit remettre en cause cette substance même et donc libérer l'humanité de sa soumission à la contrainte du travail abstrait.C'est seulement alors que l'on pourra supprimer l'indifférence par rapport au contenu de la reproduction et prendre au sérieux ce contenu lui-même. Lorsqu'on comprend le capital au sens étroit comme capital-argent et capital physique ("capital constant" chez Marx), il y a certes une contradiction fonctionnelle entre le capital et le travail. Ce sont des intérêts capitalistes différents au sein d'un même système de référence. Mais lorsqu'on comprend le capital au sens plus large de Marx, alors le travail n'est que l'autre composante du capital. Le capital-argent et le capital physique représentent du "travail mort", et la force de travail (le "capital variable" chez Marx) représente, elle, du "travail vivant". Il ne s'agit là que d' "agrégats" différents du travail abstrait et donc du capital. Sous cette angle, la contradiction est une contradiction interne du capital global ou du "sujet automate" lui-même, et pas une contradiction qui mènerait au-delà du capitalisme.

 

En se placant non du point de vue d'une libération vis à vis du travail abstrait mais d'une libération de ce travail même, le vieux mouvement ouvrier s'est condamné à n'être qu'une composante du capital et à ne trouver une "reconnaissance" douteuse qu'en ce sens-là. En conséquence, le socialisme des pays de l'Est autrement dit le capitalisme d'Etat, n'a pas critiqué et supprimé le travail abstrait. Au contraire, la bureaucratie l'a utilisé comme catégorie fondamentale pour la tentative (ratée) d'un calcul technocratique. 

 

Aujourd'hui, dans la troisième révolution industrielle (ndr:micro-éléctronique), le capitalisme a largement évidé sa propre substance-travail. Dans les bilans des grands groupes industriels, la force de travail comme composante du capital n'a plus un rôle déterminant. Il n'y a pas que la production industrielle qui soit caractérisée plus par l'utilisation de la science et de la technique que par l'activité productrice immédiate de l'homme. La dynamique aveugle du capitalisme a dépassé dans la pratique l'idée - fausse depuis toujours d'un point de vue théorique - d'un socialisme fondé sur le calcul du temps de travail et en a démontré l'absurdité.

 

Ce qui, dans une société postcapitaliste, doit être planifié, ce n'est pas la quantité d'énérgie physique humaine, mais l'usage des ressources naturelles, techniques et intellectuelles, qui doit être raisonné et diversifié en fonction de la logique de chaque secteur de la reproduction. Bref, un Usage au sens d'une simple "administration des choses", comme le dit Marx.

 

 

Extrait de Vie et mort du Capitalisme de Robert Kurz (Lignes, 2011)

Kurz-vies-et-mort-du-capitalisme

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